Voici "ils" leur cerveau et leur environnement font en sorte qu’ils se sentent soit méritants, soit “pragmatiques”.
1. Le prisme du mérite : « Si je suis là, c’est que je l’ai gagné »
Les cercles favorisés inculquent très tôt l’idée que la réussite résulte d’un effort supérieur ou d’un “talent familial”. Cette croyance protège l’estime de soi : si tout est mérite, il n’y a rien de malsain à profiter du système. Les études sur la croyance en un monde juste montrent qu’on attribue spontanément la pauvreté à un manque d’effort plutôt qu’à des règles biaisées. (Rich less empathetic than poor, study says)
2. La bulle sociale et la baisse d’empathie
Vivre entre écoles privées, clubs fermés et jets coupe le contact sensoriel avec la galère quotidienne ; or le contact direct nourrit l’empathie. Des travaux expérimentaux démontrent que les individus de statut élevé lisent moins bien les expressions faciales et adoptent plus facilement des comportements antisociaux (griller la priorité en voiture, mentir dans une négociation). (Higher social class predicts increased unethical behavior - PNAS, Greed Isn't Good: Wealth Could Make People Unethical)
3. La désactivation morale (moral disengagement)
Albert Bandura a décrit comment on neutralise nos propres scrupules : re-définir l’acte (“optimiser” plutôt qu’“exploiter”), minimiser les victimes (“ils manquent juste d’ambition”), ou se cacher derrière un but prétendument noble (“créer de la richesse pour tous”). Ce mécanisme permet d’agir de façon nuisible sans ressentir de culpabilité consciente. (Moral Disengagement as a Self-Regulatory Cognitive Process of ...)
4. L’ignorance motivée et la comptabilité sélective
Quand un fait dérangeant apparaît (salaires gelés, fermetures d’usines), on peut :
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déléguer la sale besogne à des intermédiaires (fonds, cabinets) pour ne pas « voir » ;
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surcompenser symboliquement (don médiatisé, soirée caritative) pour restaurer son image interne ;
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changer d’unité de mesure : raisonner en pourcentages abstraits plutôt qu’en vies impactées.
Ce brouillard cognitif maintient l’impression intime d’être “un bon citoyen”.
5. Y en-a-t-il qui savent ? Oui, mais…
Une minorité reconnaît lucidement l’asymétrie et la considère comme le “vrai visage” du monde : un jeu qu’il faut gagner. Pour ces stratèges assumés, la morale est un outil, pas une boussole. Mais pour la majorité, l’auto-justification (mérite, risques pris, “trickle-down”) et la distance socioculturelle suffisent à éteindre la petite alarme intérieure. Autrement dit : ils ne se sentent pas pervers parce que tout leur environnement confirme qu’ils sont rationnels et utiles.
6. Pourquoi c’est utile de le comprendre
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Dépersonnaliser le combat : cibler les mécanismes (opacité fiscale, lobbying, portes tournantes), pas seulement les individus.
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Réintroduire du contact réel : donner la parole aux personnes concernées devant décideurs brise la bulle.
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Rendre visibles les chiffres cachés : lorsque les données percent (rapports salariaux, évasion fiscale), la dissonance devient plus difficile à étouffer.
En somme : la plupart des ultra-riches n’endossent jamais l’étiquette de “pervers” ; ils se perçoivent comme doués, nécessaires ou même généreux. Le blindage psychologique – méritocratie, bulle sociale, désengagement moral – leur permet de dormir paisiblement, tant qu’une transparence vigoureuse et des contre-pouvoirs n’ébrèchent pas leur miroir.